Mon amour,
Sais-tu combien tu m'as rendue heureuse chaque jour, chaque minute qui s'est écoulée depuis que nous nous sommes croisés pour la première fois il y de ça vingt-cinq ans, dans ce supermarché démesuré où nous étions tous les deux un peu perdu ? Le sais-tu ?
Nous n'étions déjà plus de première fraîcheur, toi et moi, mais puisque la vie commence à soixante ans, nous l'avons croquée à pleines dents. Pas un seul jour ne s'est envolé sans que tu me fasses rire. Tu savais m'écouter, me consoler ou m'encourager. Nous avions des projets de jeunes gens et nous avons eu la chance de pouvoir les réaliser, ensemble. Je te prenais la main quand la force te faisait défaut. Tu me caressais la joue quand tes pensées s'arrêtaient en route, quelque part.
Tu te rappelles ce calendrier de l'avent que tu m'avais préparé, rien que pour moi ? De jolis petits sacs de tissus reliés par une ficelle tendue dans la salle à manger. Des pochettes surprises remplies de friandises et de gentillesse, des mots doux et des plaisirs. Mais je mélange tout. Ça, s'était avant, bien avant que ton cœur soit le seul encore capable de parler, avant que ton esprit ne se soit évadé dans un monde où je n'ai plus eu accès.
Mais moi aussi, maintenant, je m'égare un peu. Perdue dans la brume des souvenirs. Celui de ce vieil ami à toi que tu avais retrouvé sur le parking de la grande surface, le jour de notre rencontre. Celui de cet inconnu qui s'était invité à notre mariage. Celui de cet aide-soignant qui était venu à domicile nous aider quelques mois.
Mon amour, il m’a semblé t’avoir vu mourir hier au soir. Je ne sais plus. Est-ce important ? Tu es vivant dans mon cœur et je vais te rejoindre tout bientôt. Patience.
Sissi, ta femme pour la vie éternelle !
Alice de Castellanè
Saint-Rémy de Provence — Janvier 1894
Augustine serrait dans ses grosses mains rêches de paysanne la vieille corde de chanvre qui servait d'ordinaire à hisser les bottes de foin dans le grenier. Elle la tournait et retournait, comme pour en tester la solidité, alors qu'en réalité, elle testait son propre courage.
Lieu :
Atelier du peintre, pots de peinture alignés sur le sol, toile format XXL fixée à l’un des murs.
MP3 :
« Dies irae » suivit du « Lacrimosa » (Requiem de Mozart).
Ambroise, le peintre, sort de sa méditation. La séance de peinture automatique peut commencer. Musique.
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Pièce en 1 acte
Le foyer des artistes, derrière la grande scène de l’Opéra de Paris. La pièce est nue, sauf quelques chaises çà et là. Six ou sept danseuses en tutu vont et viennent sur la scène, s’étirent, font des pauses, des mines. Au fond, côté jardin, trois hommes distingués, en habit noir et haut de forme les admirent ou les jugent.
La crotte de pigeon avait éclaboussé le haut du pare-brise et perlait par paquets vert marron striés jaunasse. Bien entendu, il n'y avait plus de détergent dans le réservoir et l'essuie-glace chuintait sur la vitre en étalant la merde partout.