– Seigneur, voilà que la première vendeuse se pâme !
– Vous croyez qu'elle est grosse ?
– Il se peut. Cela fait trois mois tout juste qu'elle a épousé Pierre Guichard, le second à la soie.
– Et ce Pierre-là serait le père ?
– Vous en doutez ?
– Ces dernières semaines, je l'ai souvent vue dans le bureau du sous-directeur.
– Voulez-vous dire qu'elle a… qu'avec Pierre Bourdoncle...
– C'est indéniable.
– Ah ! Et donc le bébé…
– On peut le supposer. Que cela arrive aux oreilles du directeur, la pauvre fille ne resterait pas un jour de plus « Au Bonheur des Dames ».
– Et vous seriez alors immédiatement promue première vendeuse.
– À n'en point douter.
– Tout de même, oseriez-vous ?
– Certaines choses ne peuvent demeurer longtemps secrètes dans un Grand Magasin de nouveautés comme le nôtre. N'est-ce pas ?
– Oh taisez-vous, taisez-vous ! La voilà qui revient à elle.
Alice de Castellanè
Le doigt d'Odette venait de se coincer entre le K et le L. Son bref cri de désolation se fondit dans la tourmente des cliquetis. Sa voisine hissa un sourcil compatissant sans tourner la tête, toute à sa missive qu'elle déployait staccato presto.
Clic !
Son œil de poétesse épingle les petits riens, les accrocs, les cicatrices, dans cette ville ruisselante de soleil. Personne dans les rues à part elle, la fille du Nord. Les Provençaux siestent derrière leurs persiennes, tandis qu'elle mitraille les façades, les embrasures, les gargouilles.
Clic !
Ses clichés capturent les trucs pas droits, pas nets, qui r
Elle vit dans son trou, comme on vit dans une tombe. Personne ne vient la voir, ou si peu. Même le soleil ne luit plus dans sa boutique. Sur les étagères, des rouleaux de tissus sombres, d'une autre époque, de lourds velours, des gris, du brun, rien de chatoyant.
Aussi loin que je me souvienne, j'ai vécu dans l'ombre de lugubres boyaux sous-terrains. Nauséabonds. Je ne sus jamais pourquoi je fus le seul de ma famille à en souffrir. Jour et nuit, à en avoir la nausée.